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Musulmans et islam de Belgique 2004

MANÇO Ural

En 2002, la population musulmane est estimée à environ 416.000 personnes (4% de la pop. totale). Elle est constituée dans la quasi totalité des cas par des personnes issues de l’immigration ouvrière. L’installation massive de familles d’immigrés originaires de pays méditerranéens (musulmans) date de la décennie 1968-78. Cette population accuse une forte concentration géographique. Les deux tiers de celle-ci vit sur le territoire de 12 municipalités (sur 589). Notamment dans certaines municipalités de la région bruxelloise habitent environ 162.000 musulmans (39% du total), ce qui représente 16,5% de la population régionale. La population musulmane est en croissance puisqu’elle est jeune, avec 35% de personnes de moins de 18 ans. Elle connaît une natalité plus forte que dans la population autochtone et l’arrivage de personnes des pays d’origine continue par voie de mariages. Les personnes de nationalité ou d’origine marocaine vivant en Belgique se chiffrent à 229.000 personnes. Les personnes de nationalité ou d’origine turque sont 130.000. La moitié des musulmans possède aujourd’hui la nationalité belge.

L’exclusion socio-économique et la stigmatisation culturelle

Les musulmans forment, à l’heure actuelle, la dernière vague d’immigration ouvrière organisée. Leur arrivée coïncide avec la fin d’une période de croissance économique et de plein emploi ; leur installation se produit dans une période marquée par l’incertitude économique et la montée du chômage. C’est là une spécificité importante de cette immigration. Les pratiques d’orientation scolaires sélectives, l’infraqualification professionnelle qui en résulte, les taux d’échecs témoignent de leur vulnérabilité scolaire. A la fin des années 90, la moitié des élèves d’origine maghrébine et turque suivait leur scolarité secondaire dans l’enseignement technique et professionnel, qui est, dans de nombreux cas, un enseignement de relégation. Les pratiques de discrimination à l’embauche, la précarité des emplois non qualifiés qu’ils occupent le plus souvent, et les taux de chômage élevés attestent de leur vulnérabilité sur le marché du travail. En 1999, le taux de chômage parmi les travailleurs de nationalités marocaine et turque était de 38% alors que le taux de chômage était de 7,4% dans la population active de nationalité belge. L’amélioration de sa situation socio-économique est la toute première préoccupation de la population musulmane de Belgique. Les musulmans sont aussi en situation de souffrance sociale. Leurs modes de vie, que l’on suppose différents, sont souvent dépréciés. De nos jours encore, et plus encore depuis le 11 septembre 2001, le regard des Belges sur l’islam et les musulmans est souvent empreint de préjugés et de peurs. Aux yeux de beaucoup de responsables politiques et de professionnels du monde éducatif, socioculturel, médiatique juridique et policier, les musulmans apparaissent souvent comme des personnes incapables d’être les acteurs de leur émancipation : ils sont sous la domination de l’obscurantisme religieux et d’une communauté oppressante. La différence culturelle des musulmans semble souffrir d’une stigmatisation qui, en retour, sert de justification à leur exclusion sociale.

La reconnaissance officielle inachevée du culte islamique

Le processus de reconnaissance culte islamique en Belgique n’est pas encore achevé, malgré une reconnaissance officielle du temporel de ce culte dès 1974. La mise en place d’un Exécutif des musulmans en mai 1999 n’a pas mis un point final à cette quête de reconnaissance. Comme pratiquants, les musulmans ne jouissent pas encore de droits identiques à ceux qui sont accordés aux membres des autres cultes reconnus. Alors que les textes légaux existent, il persiste dans certaines matières nombre d’attitudes qui s’opposent à l’expression de la liberté de conscience et de culte des musulmans. D’importants dossiers attendent :

(1) La reconnaissance d’une partie au moins des 313 mosquées de Belgique, ainsi que leur subsidiation par les pouvoirs publics. A partir de 2002, le gouvernement belge souhaitait accorder cette reconnaissance à un premier groupe de 75 mosquées. Un budget de 3,19 millions d’euros avait été prévu à cet effet (pour les émoluments des 75 imams qui seront ainsi nommés). Le dossier est en attente.

(2) L’intervention des Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles) dans l’entretien des mosquées reconnues, ainsi que l’exemption de ces bâtiments du précompte immobilier.

(3) La définition du statut professionnel des 630 professeurs de religion islamique en activité et (déjà !) pensionnés. La nomination d’un corps de 4 inspecteurs (néerlandophones et francophones) est intervenue au début de 2003.

(4) La nomination et la rétribution des conseillers (« aumôniers ») islamiques en milieu hospitalier ou pénitencier (actuellement ces conseillers sont au nombre de 15).

(5) La création d’un enseignement de théologie islamique de niveau supérieur afin de former les enseignants du cours de religion islamique, les imams et les conseillers religieux (une expérience officielle de formation de professeurs de cours de religion islamique existe dans l’enseignement néerlandophone).

(6) La création de nouvelles parcelles musulmanes dans les cimetières communaux afin d’accroître les possibilités d’inhumation de défunts musulmans.

Dans le blocage de la reconnaissance du culte islamique, les responsabilités sont certainement partagées entre les pouvoirs publics et les représentants des musulmans, qui se sont souvent entre-déchirés. L’histoire de l’institutionnalisation de l’islam en Belgique se résume en une quête obstinée de l’instauration d’un organe chef de culte légitime et représentatif. Paradoxalement, les pouvoirs publics ont longtemps été incapables d’imaginer des solutions qui impliquent directement les musulmans du pays, à l’exclusion des représentations diplomatiques de pays musulmans influents. Il est vrai que certains politiciens ont agi dans l’ignorance des réalités du terrain. Ils ont craint l’électorat. Ils ont aussi été perméables à l’influence des médias, volontiers alarmistes pendant longtemps au sujet de l’islam et des musulmans. L’islam est resté durant plus d’un quart de siècle, et reste encore aujourd’hui dans une large mesure, un culte reconnu sans communautés locales agréées, ni représentation officielle.